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11 février 2016 4 11 /02 /février /2016 10:55

http://www.mikiliweb.com/livre-franklin-linsoumis-quand-la-musique-inspire-la-litterature

Livre : Franklin, l’insoumis/ Quand la musique inspire la littérature

Le 24 février prochain, cela fera 44 ans depuis que le grand Franklin Boukaka a rejoint les limbes dans les conditions que l’on sait. Comme pour rendre hommage à cet immortel, le jeune producteur de musique et auteur, Marien Fauney Ngombé, a eu la sublime idée d’initier un recueil de nouvelles autour de l’œuvre de Franklin Boukaka. Opération réussie ! S’inspirer de la musique pour un texte littéraire participe de la correspondance des arts, tel Maupassant dans Boule de suif, cet « impressionnisme de texte », usant à merveille de la technique du Clair/Obsur.

La musique de Franklin Boukaka interroge incessamment notre inconscient, à nous hommes et femmes de 2016, très souvent franchissant l’iconostase de la légèreté. Une musique qui constitue, pour ainsi dire, un imparfait du subjonctif, plongeant ses racines dans l’intemporalité de l’imaginaire. Oui, la musique de Franklin Boukaka reste debout, à l’image des Pyramides défiant le temps ; une musique qui est loin d’être au ras des pâquerettes; une musique qui relève plus de la « culture » que « du culturel »; une musique aux antipodes d’un mouvement profane, éphémère, trompeur et décevant. Jamais, au grand jamais, cette musique-là ne vivra «un automne de la culture» de Nietzsche. Alors « Franklin, l’insoumis », paru aux éditions Doxa, préfacé par l’inoxydable et sémillant Clément Ossinondé, ne fait que confirmer l’intemporalité de la voix de Franlin Boukaka, une voix qui nous parvient encore tels les roulements d’un tam-tam nocturne.

Certes toutes les nouvelles qui composent ce recueil ne présentent pas la même densité, le même dynamisme! Les unes laissent un goût d’inachevé; les autres paraissent abouties. Ici la construction est à la limite; là le point de vue littéraire est sinon inexistant, du moins confus…

Toutefois, comment ne pas s’attarder sur la nouvelle Le Bûcheron? Non, l’auteur ne privilégie pas le style mais plutôt les procédés stylistiques. Oui, comme dans la chanson de Franklin Boukaka, les indépendances y sont un locus terribilis au lieu d’être un locus ameonus… Oui, l’auteur privilégie la dimension symbolique plutôt que la matière elle-même. Et pour cause : dans une société où tout est symbole, que peuvent bien représenter le bois et le métier de bûcheron? Le bûcheron, du moins dans la chanson ainsi que dans cette nouvelle, symbolise l’aliénation humaine avant les indépendances et le désespoir après les indépendances. « A Boya les arbres poussaient comme la poisse sous la colonisation. Il suffisait d’une pluie pour que la terre nous nargue de sa richesse éloquente.(…) Mais la décolonisation n’était pas la panacée. La désorganisation du marché et autre clientélisme étaient les germes de la désillusion imminente.» En lisant entre les lignes, on établit un parallèle avec les mésaventures de Fama Doumbouya, le narrateur du Soleil des indépendances de Kourouma. Le commerce de ce dioula, en effet, est anéanti par les indépendances du fait de l'apparition de nouvelles frontières, lesquelles génèrent une balkanisation épouvantable.

Comment ne pas s’attarder sur la nouvelle titrée Bibi? Oui, un chant d’exclamations! L'auteur, dans cette nouvelle, nous sert une analepse et un suspens haletant. Vous souvenez-vous de cette espionne des années 1900 nommée Mata Hari? On sait que la vie des agents des services secrets féminins est un véritable roman où la réalité dépasse la fiction. Et l’auteur de la nouvelle titrée Bibi de nous le rappeler. En vrac, Bibi ressemble à s’y méprendre à la baronne Boudberg, à Elisabeth Zaroubine, à Olga Tchekhova, à Nina, à Eva Braun, etc. En somme, Bibi est bâtie comme une James Bond girl. Belle inspiration.

Comment ne pas s’attarder sur la nouvelle Likambo oyo-Neti na film? Un déluge de subordonnées émaillées de mots congolais! L’histoire se passe en quelques heures, dans le bureau d’un ministre. En écoutant la célèbre chanson de Franklin Boukaka, il se rappelle sa vie bruxelloise et, surtout, les jours ayant précédé son mariage. Sa femme a changé; comme dans la chanson de Franklin Boukaka, elle s’est éclairci la peau. Sachant que l’auteure de cette nouvelle est d’origine sénégalaise, il est juste de convoquer ici le grand poète Léopold Sédar Senghor : « Femme nue, femme noire
Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de
Midi » Oui, la femme noire n’est belle que dénudée, c’est-à-dire dépourvue de falbalas superfétatoires. Nul doute que Franklin Boukaka aurait étrillé, aujourd’hui, les tissages et perruques absurdes dont s’entichent les femmes noires de 2016.

Comment ne pas s’attarder sur la nouvelle La rumeur, inspirée de la chanson Ata Ozali? D’un style immensément lyrique, une procession d’anaphores et de pléonasmes, l’histoire nous entraîne dans l’Histoire. Oui, le jour où tout a basculé ; le jour où nous, Africains en général et Congolais en particulier, avons cessé d’être... Or aucune civilisation n'a le monopole de la culture. «Un peuple avait le feu, l’autre l’art de la pêche, d’autre encore la manière de chasser le gibier ou de lire les présages. Chaque peuple avait un érudit. Le brassage culturel initié dans le sang tend à prendre chez l’autre ce qu’il manque chez soi par la force.» Ce que nous explique cette nouvelle et, plus encore la chanson Ata Ozali, écrite par… Henri Lopès, c’est de rester soi et de respecter l’autre dans sa différence. Il ne faut pas vivre le monde en technicien mais en poète… La question que soulève Franklin Boukaka et, dans une moindre mesure, l’auteure de cette nouvelle est celle de savoir s’il existe une universalité sans affirmation de singularité, de soi. Voulons-nous être cet étudiant moqué par Rabelais qui, prétendant parler toutes les langues du monde, n’en parlait en fait aucune, faute d’avoir commencé par apprendre sa propre langue. Affirmer sa propre singularité, c’est s’aimer, sans tomber dans la perversion de l’amour-propre.

Bedel Baouna

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